Face aux inégalités d'accès à l'alimentation: une sécurité sociale de l'alimentation!
Pour un droit à une alimentation choisie pour toutes et tous!
« Les Restos du Cœur pourraient mettre la clef sous la porte d’ici à trois ans. ». Cette annonce du président des Restos du Cœur, Patrice Douret a eu le mérite de mettre en lumière la situation difficile de l’ensemble des associations engagées dans la lutte contre la précarité alimentaire. Cette situation, nous en connaissons les causes, un contexte d'inflation sur les produits alimentaires et les charges de fluides, de baisse des dons et de hausse du nombre de demandes.
De nombreuses associations refusent ainsi des bénéficiaires faute de moyen suffisant. Des personnes qui resteront le ventre vide, auquel viennent s'ajouter celles et ceux qui ne font pas appel à l’aide alimentaire, parce qu’ils se considèrent comme insuffisamment pauvres ou se sentent honteux de franchir le pas. Une récente enquête du CREDOC souligne d'ailleurs que 35 % des personnes en situation de précarité alimentaire refusent de « bénéficier » de l’aide alimentaire pour cette raison.
Sur Rennes et d'après les chiffres des restos du cœur, ce sont plus de 5400 rennais qui viennent chercher une aide alimentaire, 25% de plus qu'il y a 1 an. Mais combien d'autres souffrent de la faim ?
Cette épidémie de faim qui touche les plus vulnérables est bien une conséquence de certains choix politiques.
9,3 millions de français vivent sous le seuil de pauvreté, plus de 7 millions font appel à l'aide alimentaire. La pauvreté et les inégalités n'ont de cesse de progresser dans notre pays.
Etudiants, femmes seules, exilés sans papiers… ils sont les nouveaux visages de cette France qui a faim et qui n'ont pour seule perspective que celle d'être une variable d’ajustement chargée d’absorber des surplus de production.
« Etudiants, femmes seules, exilés sans papiers… ils sont les nouveaux visages de cette France qui a faim et qui n’ont pour seule perspective que celle d’être une variable d’ajustement chargée d’absorber des surplus de production. »
Face à cette situation, l’Etat reste en réaction en proposant encore une fois des financements exceptionnels et en lançant une grande campagne de dons. Mais cette logique de dons et d'appel à projets met en concurrence les associations d'aide alimentaire entre elles et pire, ne résout en rien le problème structurel que sous-tend cette situation. Nous devons reposer la question du financement de la solidarité dans notre pays afin de permettre à nos concitoyens de sortir durablement de la précarité. Après avoir abandonné le projet du chèque alimentaire bio qui était pourtant un engagement pris par le Président Macron devant la convention citoyenne pour le climat, nous attendons beaucoup de la stratégie de lutte contre la pauvreté qui devait être enfin annoncée par Elisabeth Borne aujourd'hui.
S'il faut saluer le dévouement sans failles des salariés et bénévoles de l'aide alimentaire et reconnaitre le rôle de l’aide d’urgence pour permettre à nombre de foyers de survivre il faut aussi en reconnaitre les limites. Car ce système perpétue un fonctionnement oppressif au sein duquel les personnes n'ont pas toujours le choix des produits, du moment et du lieu de leur collecte et cela malgré l'extraordinaire travail des associations d'aide alimentaire qui oeuvrent aussi sur l'émancipation des bénéficiaires. Un «marché de la faim» que dénonce la chercheuse Bénédicte Bonzi, docteure en anthropologie sociale et auteure d'un livre que je vous invite à lire sur La France qui a faim. Cette violence s’exerce sur les corps car les conséquences médicales d'une mauvaise alimentation sont connues, elle s'exerce aussi sur la capacité d'être dans une société –Une triple peine insupportable. L'aide alimentaire ne doit donc pas uniquement se résumer à la mise à l’abri de la faim mais prendre en compte les enjeux de qualité, de diversité de l’alimentation et de dignité des personnes.
« Le droit de disposer d’une alimentation saine et durable en quantité et en qualité suffisante, n’est-ce pas cela qui devrait dicter nos politiques agricoles et alimentaires ? »
Transformer l’aide alimentaire donc, c’est s’autoriser à transformer tout le système alimentaire d’un bout à l’autre de la chaîne. Cela implique de sortir l'alimentation de cette économie de la compétition qui ne vise qu'à assurer des profits pour quelqu'uns et paupérise autant les paysans que les citoyens de part et d'autres de cette chaine alimentaire. Produire le moins cher possible pour être compétitif à l’international, ce sont ces mots que notre ministre de l'agriculture Marc Fesneau prononçait encore il y a quelques jours pour justifier de sacrifier notre environnement, notre autonomie alimentaire sur l'autel d'un productivisme qui nous conduit dans le mur et malheureusement bien loin de nos objectifs climatiques.
Le droit de disposer d'une alimentation saine et durable en quantité et en qualité suffisante, n'est-ce pas cela qui devrait dicter nos politiques agricoles et alimentaires ?
« Personne n’a envie de mettre des pesticides dans son assiette, on le fait parce que l'accès à des produits durables est empêché pour des raisons économiques, culturelles ou sociales, et parfois dans une logique de survie » explique Mathieu Dalmais, Agronome et à l'initiative du collectif pour la sécurité sociale de l'alimentation. C'est ce constat qui doit conduire les pouvoirs publics à penser de nouvelles solidarités et transformer notre système alimentaire.
Dans le cadre de la future Stratégie Nationale Alimentation Nutrition Climat (SNANC) ou la loi d'orientation agricole, l'Etat doit porter des ambitions cohérentes pour mettre en œuvre une politique structurelle de lutte contre la précarité alimentaire. Malheureusement, le faible soutien aux productions biologiques et la proximité affichée avec la FNSEA trahit l'absence de cohérence des politiques agricoles sur ce sujet.
Depuis 2019 et pour lutter contre les violences alimentaires exacerbées par le Covid, des associations et collectifs œuvrent à la création d’une « sécurité sociale de l’alimentation », pour sortir des logiques de charité et permettre un accès universel à l'alimentation en garantissant un droit pour tous et toutes. La sécurité sociale de l'alimentation est une idée simple mais au potentiel transformateur majeur: intégrer l'alimentation au régime général de la sécurité sociale en reposant ce droit sur trois piliers : l'universalité, le financement par la cotisation et le conventionnement démocratique des professionnels. Sur le modèle de notre système de santé et de la solidarité qui le fonde, cette carte d’«assurance de l’alimentation» permettrait à chaque personne, chaque mois, de bénéficier d’un montant de 150 euros pour acheter des denrées conventionnées. Soit des aliments de qualité et durables, qui ne seraient pas issus de l’agro-industrie, ultratransformés, délétères pour l’environnement, les conditions d’existence des producteurs et au final pour la santé de toutes et tous.
A Rennes et plus précisément sur le quartier du Blosne, nous expérimenterons une démarche qui s'inspirera de cette idée, une carte alimentation durable. D'autres villes avancent sur de telles expérimentations, comme Lyon ou Montpellier car il y a urgence à agir. Nous nous appuierons sur des associations qui œuvrent au quotidien auprès des plus fragiles, épiceries solidaires, associations d'aides alimentaires, cuisines partagées, coopérative de production maraichère et continueront à appuyer des initiatives qui vont dans le sens d'une égalité d'accès à l'alimentation durable. C'est ce qui guide aussi nos politiques de solidarité à l'échelle de la Métropole et de la Ville comme à travers le PAT Métropolitain et la politique de santé. Être aux côtés des plus fragiles pour imaginer d'autres solidarités. Mais cette épidémie de faim nécessite que les pouvoirs publics soient aussi à nos côtés.
En 2023, laisser certains de nos concitoyens avoir le ventre vide n'est rien d'autre qu'un choix politique, à nous d'être collectivement au rendez-vous pour porter un droit à l'alimentation pour tous et toutes.
Mon intervention au conseil municipal de Rennes en septembre 2023 :