Abattoir de proximité, des outils indispensables en faveur d'une transformation écologique de notre alimentation

En Bretagne comme sur le reste du Pays, des abattoirs de proximité continuent de disparaitre dans un silence assourdissant, c'est le cas récemment avec l'abattoir d'AIM à Antrain (Ille-et-Vilaine). Pourtant, ce sont des outils indispensables dans la perspective d'une relocalisation des systèmes alimentaires, à rebours du gigantisme de certains outils de transformation et de leurs firmes qui constituent aujourd'hui un frein au développement d'une alimentation durable, locale et choisie.

D'un côté, des salariés en grève qui expriment leur colère de voir disparaitre leur entreprise. De l'autre, le silence de son récent propriétaire, la holding d'une entreprise de l'agroalimentaire d'envergure internationale. Cette scène, devenu trop familière, se "jouait" récemment lors de la fermeture de l'abattoir AIM d'Antrain. L'établissement, créé en 1956 a été repris en juin 2023 puis abandonné par le groupe belge SOPRACO qui ne souhaitait pas réaliser d'investissements structurels malgré les nombreux soutiens publics et la viabilité apparente de l'outil. Derrière le drame social que constitue cette fermeture pour sa soixantaine de salarié (240 salariés en 2009), le silence qui l'accompagne (hormis les syndicats de la CGT et de la Confédération Paysanne qui ont manifesté leur soutien), interroge la réelle prise de conscience autour des enjeux de souveraineté alimentaire sur nos territoires.

Cette situation est loin d'être singulière.  Depuis les années 60, le maillon de la transformation est en effet rythmé par des fermetures ou des restructurations au profit d'un oligopole de l'agroalimentaire. Quelques entreprises ont ainsi prospéré grâce à l'internationalisation des marchés de la viande. Au détriment d'abattoir de proximité, notamment les abattoirs publics qui traitent encore aujourd'hui 8% des abattages en France, contre 62,5 % en 1980[1]. Si nous savons que la transition vers des pratiques alimentaires durables, en premier lieu la diminution de la consommation de la viande, est nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques de la France[2], faut-il pour autant se réjouir de voir disparaitre des abattoirs de proximité ?  Au contraire, ce sont des signaux inquiétants d'une perte de souveraineté alimentaire et de la capacité à transformer nos filières agricoles pour qu'elles assurent la production d'une alimentation en cohérence avec nos objectifs climatiques.

Une étude[3] très importante conduite notamment par l'IDDRI, vient interroger les conséquences de ce déséquilibre entre production alimentaire d'un territoire et consommation et questionner les conséquences d'une absence de vision à long termes autour de ces maillons déterminants dans la perspective de système alimentaire plus durable et relocalisé. Cette étude présente ainsi la tendance à l'œuvre depuis le début des années 60, à savoir une forte concentration et spécialisation des outils de transformation poussées par des logiques de compétitivité qui ont favorisé une offre de produits de plus en plus normés et standardisés. Dans la même période, la demande s'est structurée autour des enjeux de prix et de praticité auxquels le modèle de la grande distribution et du hard discount sont venu répondre, en façonnant aussi les préférences alimentaires des consommateurs. Parmi les conséquences les plus visibles de ce modèle économique, son coût environnemental d'abord. Développé sur un usage peu contraint de produits de synthèse (pesticides et engrais), ce système agroalimentaire est à l'origine des dégâts que les milliards d'euros investis par les pouvoirs publics ont toujours du mal à juguler :  contamination des cours d'eau par les nitrates et les pesticides, chute de la biodiversité dans les espaces agricoles... Ensuite, le déclin continue du nombre de paysan.nes et de salarié.es agricoles ( 6,3 millions en 1946, à 750 000 au dernier recensement de 2020) et leur paupérisation par la captation de la valeur ajouté des filières aval, très bien observé en élevage laitier[4] illustrent le coût social que même la forte proportion d'emplois créées sur la même période dans les entreprises agroalimentaires ne peut cacher.

La concentration des fermes, leur surendettement, l’industrialisation des filières et la financiarisation des marchés agricoles ont effacé peu à peu des modèles agricoles plus diversifiés et des outils de transformation de proximité pourtant essentiel pour l'élevage paysan, la valorisation des races locales ou la diminution du temps de transport des animaux. Surtout, dans un contexte de déclin de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique, la préservation des prairies permanentes et des infrastructures agroécologiques associés (haies, bosquets, mares…) est une nécessité. Il est donc important de conserver aussi un élevage herbivore pâturant et in fine, conserver également des outils de transformation capable de valoriser ces productions issues de systèmes agricoles durables et éthique, mettant au cœur de cette industrie le respect du vivant contre la maltraitance animale.

Si des alternatives apparaissent, publiques, comme l'abattoir communautaire du Trégor inauguré en 2021, ou collectifs, portées par des paysans comme le projet d'abattage à la ferme de l'ADEAR 35, elles seront insuffisantes si nous ne préservons pas les abattoirs de proximité existants. Nous ne pourrons faire l'impasse d'une réflexion qui doit conduire les pouvoirs publics et les acteurs agricoles à réguler une économie qui constitue de plus en plus un verrou vis-à-vis des objectifs fixés en matière de renouvellement des générations en agriculture ou d'une plus juste rémunération de celles et ceux qui nous nourrissent.  La reconversion écologique des moyens de production ne pourra réussir que si nous prenons soin à la fois du vivant et du travail et si nous n'éludons aucunes questions, y compris celles qui consisteraient à reprendre en main localement certains outils de transformation, parcequ'ils produisent des biens publics.

 

[1] Rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, Filière Abattoir : Synthèse des études et données économiques et sanitaires https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/134000548.pdf

[2] https://reseauactionclimat.org/reduire-de-50-la-consommation-de-viande-permettrait-datteindre-les-objectifs-climatiques-de-la-france-tout-en-ameliorant-la-sante-de-la-population/

[3] IDDRI, Solagro, le Basic, AScA et I4CE: Des filières viandes françaises sous tension : entre pressions compétitives et accès à la biomasse  https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/etude/des-filieres-viandes-francaises-sous-tension-entre-pressions

[4] de 2001 à 2022, les éleveurs ont perçu 4% de moins sur la vente d’un litre de lait demi-écrémé, au profit de la grande distribution (+188%) et de l’industrie agro-alimentaire (+64%). Filière laitière : mieux répartir la valeur pour assurer un élevage durable en France, étude du BASIC et la Fondation pour la Nature et l'Homme: https://www.fnh.org/produits-laitiers-eleveurs-grands-perdants-hausse-prix/

NB: Sur l'abolitionnisme, posture que je respecte, j'invite à lire le travail de Jocelyne Porcher, qui pose les bases d'un débat constructif sur cette question : https://jocelyneporcher.fr/demain-carnivores-manger-de-viande-pose-question-quotidien/