Pour un règlement du SAGE Vilaine ambitieux face aux pesticides de synthèse : Une tribune d'élue.es et scientifiques
En finir avec les pesticides de synthèse sur les aires d'alimentation de captage
Alors que le “Projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture” est de retour à l’agenda politique, avec des ambitions totalement rabotées (retrait des objectifs de surface en bio, Ré autorisation de pesticides, contournement des dérogations espèces protégées, il semble que seul la mobilisation locale puisse venir contrecarrer la résignation ambiante. Des scientifiques cosignent, avec des médecins et élu.es locaux une tribune en faveur d'une réduction de l'usage des pesticides de synthèse sur les aires d'alimentation de captage du bassin versant de la vilaine.
“Sur le bassin versant de la Vilaine, l’accès à l’eau est de plus en plus préoccupant du fait de la présence de polluants tels que les pesticides de synthèse et leurs métabolites . Et le dérèglement climatique ne va pas arranger les choses. D’après des scientifiques, il aurait tendance à accroître le processus de concentration des polluants.”
Ouest France du 13 février 2025
Un Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) est un document qui définit à long terme les objectifs et les orientations d’utilisation et de protection des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques, sur un territoire appelé « bassin versant ». L'objectif de ce document est d'atteindre le bon état des masses d’eau. Son règlement contient des règles édictées par la commission locale de l’eau (CLE), véritable parlement de l'eau est composée d’élu.es, d’usagers et de représentants de l’état. Parmi les règles discutées dans la cadre de la révision du SAGE du bassin versant de la vilaine : la réduction de l'usage de pesticides de synthèse sur les aires d'alimentation de captage.
Depuis désormais 3 ans, la Commission locale de l'eau (CLE) du bassin versant de la Vilaine élabore le prochain SAGE de la Vilaine. Dans le cadre de cette révision, les débats actuels poussent à restreindre enfin l'usage des pesticides de synthèse, ce qui serait un première pour un SAGE et un espoir pour celles et ceux qui luttent depuis des décennies contre les dégâts de ces produits sur la santé humaine ou l'environnement.
Sur le bassin versant de la Vilaine, l'accès à l'eau est de plus en plus préoccupant du fait de la présence de polluants tels que les pesticides de synthèse[1] et des impacts du changement climatique[2] puisque ce dernier va accroître le processus de concentration des polluants. Ce risque est majeur puisque sur la période 1980-2019, près de 12 500 captages d'eau potable - sur les quelque 33 000 que compte la France - ont déjà été fermés[3]. Or la concentration de polluants pourrait conduire à augmenter ces fermetures avec un impact dramatique pour la disponibilité de la ressource en eau.
On sait la situation préoccupante du point de vue de la santé publique, les études menées montrent en effet une augmentation de la fréquence de certains cancers chez les utilisateurs de pesticides (lymphomes non hodgkiniens, myélome multiple, cancer de la prostate, maladie de Parkinson, etc)[4]. Des pesticides de synthèse également suspectés d'être à l'origine de certains cancers pédiatriques, malformation ou encore troubles du neurodéveloppement dans certaines régions de France[5]
La contamination des ressources en eau par les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées, ou « polluants éternels »), dont certaines sont d'origines agricoles laisse également présager des difficultés grandissantes pour assurer la production d'une eau de qualité suffisante.
Il est donc crucial d'accompagner la transformation des pratiques agricoles vers la diminution puis l'arrêt de l'usage des pesticides de synthèse sur les aires d'alimentation de captage. Il est nécessaire d'accompagner encore davantage les agriculteurs et agricultrices vers des pratiques plus durables et cela d’autant plus que, conscients des multiples impacts sociétaux, environnementaux et sanitaires, de nombreux agriculteurs et agricultrices souhaitent s’en émanciper.
A la contrainte que suppose le renoncement à utiliser des pesticides pour certains agriculteurs et agricultrices, il est possible localement de construire des politiques publiques qui proposent des réponses qui ne seront pas seulement techniques, mais qui engageront une reconception en profondeur de notre système alimentaire. Ces solutions existent : les Mesures Agro-Environnementales Climatiques, les Zones Soumises à Contrainte Environnementales, les Paiements pour Services Environnementaux, les Plans Alimentaires Territoriaux ou les Aménagements Fonciers Agricoles Forestiers et Environnementaux qui donnent plus de cohérence et la possibilité aux fermes d'allonger les rotations et de diversifier les assolements.
Un changement de système et un abandon des intrants chimiques peut représenter une réelle prise de risque pour celles et ceux qui doivent conduire ces transformations à l'échelle de leur ferme. D'autant plus que les principales aides financières sont peu fléchées et le contexte peu encourageant (revenus faibles, contrats de filières asymétriques et contraignants, offre de débouchés trop faible…). Parce qu'il n’est pas acceptable qu'une telle démarche remette en cause l’équilibre économique d'une ferme, nous pensons qu'aux dispositifs mentionnés précédemment pourrait également s’ajouter la création d'un fonds d'indemnisation où serait mis à contribution l'ensemble des filières et des pouvoirs publics. Ceci, afin d'assurer aux agriculteurs un soutien suffisant pour s'engager vers des pratiques vertueuses et massifier ainsi l'agroécologie sur nos territoires. Ces solutions doivent pleinement engager les filières amont et aval, notamment les entreprises de l'agroalimentaire et les acteurs de la grande distribution, trop souvent absents des négociations, que cela soit sur les questions de qualité de l'eau ou de la juste rémunération des agriculteurs.
Nous devons également sanctuariser et restaurer les zones humides, préserver le bocage et favoriser les systèmes agricoles basés sur les prairies naturelles. Les épisodes récents d'inondations sur le bassin versant de la Vilaine nous ont montré combien ces éléments sont précieux pour mieux réguler ces phénomènes climatiques extrêmes et assurer une bonne épuration naturelle de l'eau. De la même manière et afin de préserver nos capacités futures en matière d'approvisionnement en eau, nous devons limiter le recours au stockage de l'eau et accompagner la sobriété des usages, y compris dans nos choix en matière de production agricole.
En conclusion, et plutôt que de nous enfermer dans des dialogues de sourds entre agriculteurs, riverains, militants associatifs, élus, ce constat doit nous inviter à faire vivre le débat démocratique au sein de la Commission Locale de l'Eau du SAGE Vilaine. Mais ce dialogue, éclairé par des faits scientifiques et dans une perspective de long terme et de l’intérêt général, doit aussi nous conduire, en responsabilité, à soustraire nos captages d'eau du danger que font peser ces polluants. Et c'est parce que c'est une responsabilité collective que nous devons mobiliser des moyens et des outils pour accompagner celles et ceux qui s'engagent déjà, comme les agriculteurs biologiques ou qui s'engageront demain vers une réduction de l'usage des pesticides de synthèse, en commençant par les herbicides. La nécessité de préserver nos aires d'alimentation de captage est d'ailleurs reprise par la proposition de loi « protéger durablement la qualité de l’eau potable » présentée par le Député de Loire-Atlantique Jean-Claude Raux et appuyée récemment par une tribune transpartisane de 150 élu.es de Loire-Atlantique[6].
Nous avons sur nos territoires, les moyens, les énergies et les outils pour mener des politiques plus volontaristes. Nous constatons des dynamiques qui montrent qu'il est possible de développer une agriculture qui protège le travail et la santé de celles et ceux qui nous nourrissent, qui protège l’environnement et crée des emplois. Nous sommes persuadés qu'il est possible d'atteindre le bon état des masses d'eau en sortant progressivement et définitivement de l'impasse des intrants chimiques sur nos captages d'eau potable.
Elu.es locaux de différentes sensibilités politiques, issu.es de l'ensemble du territoire du bassin versant de la Vilaine, chercheurs et médecins investis sur les questions d'impacts environnementaux des pesticides de synthèse, nous soutenons une ambition forte sur la révision du règlement du SAGE Vilaine, pour ne plus faire porter aux générations futures les conséquences financières, environnementales et sanitaires de nos renoncements. Assumons de faire des choix qui nous engagent maintenant pour assurer à chacun la possibilité de bénéficier d'une eau en quantité et en qualité suffisante
Par un collectif d'Elu.es du SAGE Vilaine, de scientifiques et de médecins
Les premiers signataires élu.es :
Michel Demolder, Président de la Commission Locale de l'Eau, Président de la Collectivité Eau du Bassin rennais, Maire de Pont-Péan (35),
Marie-Edith Macé, agricultrice, Vice-présidente de la Collectivité Eau du Bassin rennais, adjointe au maire de Melesse (35),
Aurélie Mézière, maire de Plessé (44), conseillère communautaire de Redon Agglo, Vice-présidente 44 de Bruded et déléguée à la ruralité de l'AMF44,
Fabrice Sanchez, Maire de Massérac (44), Vice-président de Redon Agglomération, Vice-président d'Alantic eau, Vice-président du SMP ouest 35, Président du copil Natura 2000 des marais de vilaine,
Ludovic Brossard, technicien agricole, élu Ville de Rennes, Vice-président de la collectivité Eau du bassin rennais (35),
Nathalie Nowak, conseillère départementale des Côtes d'Armor, délégué à l'environnement (22),
Pascal Hervé, agriculteur, Vice-président de la Métropole de Rennes, Président de la SPL Eau du Bassin rennais, Vice-Président d'Eaux-et-Vilaine, adjoint au Maire de Laillé (35),
Bertrand Roberdel, Vice-président Arc Sud Bretagne, adjoint au maire de Billiers (56),
Stéphane Rouault, Vice-Président de Ploermel communauté, maire de Guillac (56),
Yann Soulabaille, Vice-Président du Conseil départemental d'Ille-et-Vilaine (35),
André Crocq, Conseiller régionale de Bretagne
Les premiers signataires scientifiques et médecins :
Cécile Chevrier, Epidémiologiste, directrice de recherche Inserm à l'Irset (Institut de recherche en santé, environnement et travail),
Cécile Le Lann, Biologiste, Maître de Conférences au CNRS, Laboratoire ECOBIO_ UMR 6553 UR-CNRS de l'Université de Rennes,
Pierre-Michel Périnaud, Docteur, Président de l'association "Alerte des Médecins sur les Pesticides",
Florence Habets, Hydroclimatologue, directrice de recherche au CNRS et professeure attachée à l'ENS,
Luc Aquilina, Hydrogéologue, professeur titulaire de la Chaire Eaux et territoires de la fondation de l'université de Rennes, laboratoire de Géosciences de l’Observatoire des sciences de l’université de Rennes (Osur),
Chantal Gascuel, Agronome, Directrice de recherche à l'INRAE / UMR SAS,
Fariborz Livardjani, toxicologue, Université de Strasbourg,
Christophe Piscart, Hydrobiologiste, Directeur de Recherche au CNRS, Laboratoire Ecobio à l'université de Rennes,
Anne-Charlotte Vaissière, Docteur en économie au CNRS, UMR 6553 ECOBIO de l'université de Rennes,
Jean-Raynald de Dreuzy, Hydrogéologue, directeur de Recherche, Equipe Eaux & Territoires à l'université de Rennes,
Olivier Godinot, Agronome, Maître de conférences en agronomie à Institut Agro / UMR SAS,
Julia Denantes, Docteure en économie agricole, UMR SMART de Rennes
Estelle Michelet, médecin généraliste, Fouesnant (29),
Lylian Le Goff, médecin généraliste, Lorient (56),
Martin Molina, médecin généraliste, Rennes (35),
Lien vers la tribune ici : https://test.framapetitions.org/petition/user/Ludovic.Brossard/limiter-lusage-des-pesticides-de-synthese-sur-nos-aires-dalimentation-de-captage
[1] En Bretagne, 99% des eaux brutes sont contaminés par les pesticides avec une omniprésence des herbicides et des métabolites, Observatoire de l'Environnement en Bretagne https://bretagne-environnement.fr/tableau-de-bord/pesticides-dans-les-cours-deau-bretons-analyse-de-levolution-annuelle-depuis-1995
[2] Observatoire de l'Environnement en Bretagne https://bretagne-environnement.fr/article/secheresses-en-bretagne-vulnerabilites-et-changement-climatique
[3] Rapport interministériel de l’agriculture, de la santé et de la transition écologique, juin 2024
[4] https://presse.inserm.fr/publication-de-lexpertise-collective-inserm-pesticides-et-effets-sur-la-sante-nouvelles-donnees/43303/
[5] https://presse.inserm.fr/une-etude-de-linserm-sinteresse-au-lien-entre-le-risque-de-leucemie-pediatrique-et-le-fait-dhabiter-a-proximite-de-vignes/67576/?mc_cid=5dfabc2426&mc_eid=75583e586c
[6] En Loire-Atlantique, 150 élus de tous bords politiques appellent à protéger l’eau potable des pesticides Le Monde, février 2025 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/02/06/en-loire-atlantique-un-appel-transpartisan-des-elus-pour-proteger-l-eau-potable-des-pesticides_6534980_3244.html